Ce beau livre comble un manque dans la littérature francophone et, de surcroît, le sujet est servi par l’étendue des compétences de l’auteur. Celui-ci est en effet un historien de l’art reconnu, dont l’œuvre importante – publications sur les mouvements artistiques du XXe siècle, nombreuses monographies ainsi que missions de commissaires d’expositions majeures – est garante de la profondeur de l’analyse.
Voici non seulement un bel ouvrage largement illustré mais aussi un texte dense et très structuré. S’agissant d’États dont l’histoire n’est guère familière à la plupart des lecteurs, une introduction générale, ainsi que des paragraphes liminaires pour chacune des trois parties consacrées respectivement aux trois États, offrent un raccourci qui, bien que synthétique, permet d’appréhender le contexte politique et historique des œuvres et des artistes, peintres et sculpteurs présentés , lesquels s’inscrivent dans une période allant du milieu du XXe jusques et y compris le temps soviétique.
C’est à Osvaldas Daugelis, longtemps directeur du Musée Čiurlionis de Kaunas et trop tôt disparu, qu’est dédiée la première partie consacrée à la Lituanie qui s’ouvre par une évocation approfondie de M. K. Čiurlionis, pour se terminer par un chapitre sur une photographe surréaliste peu connue, Domicelė Tarabildienė.
Pour la Lettonie, l’auteur nous fait notamment rencontrer les artistes qui ont construit l’art national autour du Groupe des Artistes de Riga, au tout début de l’indépendance, après la guerre et l’exil. Car pour ce pays, frappé de plein fouet par la guerre et les évacuations, la guerre est un épisode fondateur.
Enfin l’Estonie, dont l’évolution en matière d’art évoque celle des deux autres pays : influence de la guerre, création d’un mouvement national (Pallas), et évolution vers « l’ordre » qui, de choisi devient obligatoire, selon l’expression de l’auteur, sous la houlette du gouvernement autoritaire qui s’installe, comme dans les autres Pays baltiques, avant la Seconde guerre mondiale.
Cette présentation inscrit l’art balte dans le temps long, avec sa continuité et ses ruptures. On passe en effet du symbolisme au cubisme, dans ses diverses déclinaisons, puis aux mouvements avant-gardistes, pour aboutir à un « retour à l’ordre » général, avant la Seconde guerre mondiale, sorte de préparation au réalisme soviétique qui suivra. Le tout est brossé avec ampleur et remarquablement contextualisé.
Enfin, on voit vivre les groupes d’artistes des tendances modernistes, finement différenciés, les revues et leur circulation, les liens entre littérature et art. Si certains artistes font l’objet de gros plans éclairants, la diaspora artistique de ces trois pays est largement évoquée et aucun domaine de l’art n’est laissé de côté : peinture, sculpture, gravure, décors de théâtre et d’opéra, arts appliqués, photographie.
Le pavillon commun aux trois pays, lors de l’Exposition Internationale des sciences et des techniques de Paris en 1937, constitue comme un point d’orgue pour les trois régimes autoritaires de l’époque qui, après une plongée dans la modernité veulent donner à voir, outre des réalisations techniques, l’art figuratif, le folklore et l’art populaire après les années de modernisme que décrit cet ouvrage.
Suzanne Plasseraud, plasseraud@orange.fr
> L’Art des pays baltes,
Serge Fauchereau, Flammarion, 2021, 256 pages, 45 €.
https://editions.flammarion.com/lart-des-pays-baltes/9782080204912