16 juin 2009

Jacques Boucher de Perthes et le "bœuf de Lituanie"

De nombreuses manifestations scientifiques sont dédiées, cette année, à Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), à l’occasion de l’anniversaire de la publication du premier volume de son ouvrage Antiquités Celtiques et Antédiluviennes (1849) et celui de la reconnaissance internationale de sa découverte (1859). Boucher de Perthes est considéré comme le fondateur de la préhistoire. A l’encontre des opinions scientifiques courantes à l’époque, ce savant présenta l’idée selon laquelle l’Homme été contemporain de certains animaux disparus. En se basant sur les résultats des fouilles archéologiques, il prouva l’existence, longtemps niée, d’un "homme fossile". L’œuvre scientifique et la vie de Jacques Boucher de Perthes sont relativement bien connus; son passage par la Lituanie, en revanche, l’est beaucoup moins. En 1856, Boucher de Perthes voyagea en Russie. En revenant, il passa par la Lituanie et la Pologne. Les souvenirs de ce voyage furent publiés dans Voyage en Russie : retour par la Lithuanie, la Pologne, la Silésie, la Saxe et le duché de Nassau; séjour à Wisebade, en 1856 (Paris - Treuttel et Wurtz 1859). Ancien officier de l’Empire, il attachait une grande importance à toutes traces de passage de la Grande Armée. Pourtant, il ne s’arrêta que peu de temps en Lituanie. Le voyageur traversa le pays en faisant uniquement des haltes dans les relais de postes. Les informations sur la Lituanie sont donc originaires de brèves observations, et surtout de conversations avec ses compagnons de voyage. Il est en effet fort probable que Boucher de Perthes les sélectionna en fonction de l’image de la Lituanie qu’il s’était déjà fait auparavant. Néanmoins quelques pages de son livre, consacrées à la Lituanie, constituent un précieux témoignage d’une représentation occidentale de la Lituanie au XIX siècle. Notons que ses remarques ne sont pas dépourvues d’un certain humour : "Malgré l’admiration du docteur [Sobolewski, un de compagnons de voyage], si j’avais un palais à bâtir, ce ne serait pas dans ce pays. Pourtant, je conçois que certains caractères puissent y trouver le bonheur : un chasseur par exemple. Là il n’y a à craindre ni garde-chasse, ni gendarme. Un seul gibier, le bison d’Europe [en originale zugle], est prohibé. Qu’ils ne deviennent pas pour vous la pomme d’Adam, et vous êtes dans le véritable paradis de Nemrod. Puis, ce doit être une belle chasse que cet ours gros comme une génisse et méchant comme un tigre. Ce péril est grand, sans doute, mais quelle fourrure ! Et quels jambons ! J’en ai mangé, ou du moins essayé, et je suis convaincu qu’ils seraient excellents si l’on parvenait à les mâcher, mais il faudrait que l’ours en vous cédant sa chair vous eût cédé ses dents." Il est intéressant de noter la conviction qu’avait Boucher de Perthes selon laquelle les forêts de Lituanie abriteraient les animaux disparus ailleurs. Conviction alimentée, d’une part par la méconnaissance de la faune de cette partie de l’Europe et par ailleurs par la présence de bisons d’Europe dans la Forêt de Białowieża. Signalons qu’un siècle avant, Jean-Etienne Guettard (1715-1786) niait la possibilité d’extinction des espèces. Le "bœuf de Lituanie", connu en France uniquement par des fouilles paléontologiques mais vivant à Białowieża, était un argument clé de ce raisonnement. "Je préfère l’inconnu, et je maintiens qu’il doit exister dans ces forêts des créatures auxquelles nous ne croyons plus. Qu’on y envoie un détachement de pionniers naturalistes, l’on y verra surgir l’ancienne faune des gaules, et se montrer à nos yeux étonnés tous les analogues vivants de la population souterraine dont l’ossuaire se trouve encore dans nos tourbières et dans les forêts sous-marines que recouvre La Manche." Boucher de Perthes voulait même introduire les bisons d’Europe en France afin de reconstruire l’ancienne faune de Gaule, il se renseigna à ce sujet à Varsovie auprès de Feliks Jarocki (1790-1865), conservateur du cabinet d’histoire naturelle, zoologiste de renom et auteur d’un travail sur les animaux de Białowieża. En Lituanie, comme ailleurs, Boucher de Perthes s’intéressa aux vestiges des anciennes civilisations. "Connaît-on des monuments druidiques ou des ruines annonçant que ces steppes et ces forêts ont eu, à une époque plus ou moins éloignée, une population moins disséminée que celle-ci ? Si ces traces existent, elles sont peu connues. Cependant, il n’est pas à croire qu’un telle étendu de terrains boisés ou cultivables, abondants en gibier, et propres à la multiplication des bestiaux, ait toujours été aussi déserte qu’elle l’est aujourd’hui. Mais quelles traces peuvent laisser les nations qui vivent sous la tente ou ne construisent que des maisons de bois, Quant aux premières, quelques jours suffisent pour disparaître leurs vestiges, pour les autres quelques années." A cette époque, l’archéologie lituanienne était parmi les mieux développées d’Europe. Boucher de Perthes ne passa pourtant pas par Vilnius. L’année de son passage en Lituanie (1856) fut suivant de l’année de fondation du Musée des Antiquités et de la Commission Archéologique (1855), fruit d’années de travail scientifique et d’un grand engouement pour cette problématique. Il ne nous est possible de savoir aujourd’hui si c’est un manque de temps ou l’influence de la représentation occidentale de ce pays qui le priva d’un savoir si nécessaire pour son travail. Pour en savoir plus, contacter Piotr Daszkiewicz, du Muséum national d’histoire naturelle :
piotrdas@mnhn.fr

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