La correspondance Gilibert - Jussieu (1748-1836), un précieux témoignage de l’histoire des sciences en Lituanie
La Bibliothèque Botanique du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) à Paris conserve une série de lettres du botaniste Jean-Emmanuel Gilibert (1741-1814) à Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836), démonstrateur de botanique au Jardin du Roi, membre de l’Académie Royale des Sciences et directeur du MNHN. Elles ont été analysées par Piotr Daszkiewicz, du Service du Patrimoine Naturel du MNHN, avec l’aide de Françoise Bouazzat et Denis Lamy, de la Bibliothèque du MNHN. Une de ces lettres fut envoyée le 23 octobre 1777, de Grodno et date de la période du séjour de Gilibert en Lituanie. Gilibert y informe son collègue de l’état des institutions scientifiques, organisées par ses soins à la demande de l’administration de l’Etat polono-lituanien : "Deux ans se sont écoulés depuis mon arrivée. Pendant ce temps, j’ai eu les facilités d’établir un jardin de botanique qui le dispute pour le choix des plantes et leur nombre avec celui de Montpellier. Le cabinet d’histoire naturelle est pour le plus complet pour la minéralogie. Nous n’envions riens aux plus célèbres des pétrifications des mines de Suède, Russie, Hongrie, Saxe et Tyrol. L’amphithéâtre anatomique est considérable avec plus de cent pièces injectés ou monstres, fœtus, etc. La bibliothèque de l’Académie médicale ne renferme encore que trois mille volumes mais nous possédons les plus beaux ouvrages de botanique, de zoologie et d’anatomie". Cette lettre contient nombre d’informations concernant l’avancement de son travail sur la Flore de Lituanie (Flora Lithuanica inchoata) - la première au sujet de ce pays -, ouvrage édité quatre ans plus tard, en 1781 : "J’ai sérieusement travaillé à déterminer les plantes de Lithuanie, aidé par vingt quatre élèves. Vous ne serez pas surpris, si notre Flora offre déjà neuf cents espèces de plantes très certaines, parmi lesquelles se trouvent plusieurs sibériennes. Vous serez étonnés de nos véroniques, campanules, ombellifères, salices [saules], etc." Les recherches botaniques de Gilibert en Lituanie sont bien connues des naturalistes et des historiens des sciences. Nous en savons beaucoup moins sur ses recherches dans les autres branches des sciences naturelles. De ce point de vue, la lettre à Jussieu constitue un témoignage unique. Rappelons, à titre d’exemple, les dires de Gilibert en ce qui concerne ses travaux en entomologie : "Les insectes ont été collectés avec le même soin. Je viens de finir de le déterminer : nous en avons déjà huit cent espèces sûres, quelques-unes qui ne sont point dans la Faune de Linné [l’ouvrage de référence de l’époque]. Ce qui m’a surpris, c’est que nous en avons à Grodno, le foulon, la tête de mort, etc." Gilibert informa Jussieu de la construction des bâtiments de l’Académie médicale et de son hôpital. Il se montre satisfait de la beauté et des richesses naturelles de la Lituanie, mais aussi de sa situation personnelle : "Si vous me demandez quel est mon sort, je vous dirai qu’il est de plus heureux ! Mes brevets tous très honorables : inspecteur général des écoles de médecine du grand-duché de Lithuanie, premier professeur de celle de Grodno, physicien du même duché, médecin ordinaire du roi, conseilleur aulique. Ma place non compris, la pratique va à 600 ducats ce qui fait un peu plus de 6000 # [livres tournois] de rente". La lettre a pour but la demande d’envoi en Lituanie de graines de plantes du Jardin du Roi à Paris. Gilibert, après avoir présenté ses collections végétales (avec les serres de plantes africaines), cite les noms des naturalistes qui ont envoyé ou échangé des plantes avec le Jardin de Grodno : Nicolaus Jacquin (1727-1817) de Vienne, Simon Pallas (1741-1811) de Saint-Pétersbourg, Antoine Gouan (1733-1821) de Montpellier, Jean Hermann (1731-1800) de Strasbourg. Faute de documents conservés au MNHN, nous ne pouvons que supposer qu’Antoine-Laurent de Jussieu a également participé à ces envoi de plantes en Lituanie. Afin de mieux présenter la situation en Lituanie, Gilibert joignit un imprimé de sa lettre à Louis Vitet (1736-1809), contenant une description de la visite du roi Stanislas Auguste Poniatowski (1732-1798) à Grodno et plus particulièrement de l’Académie médicale, du jardin botanique, et de l’amphithéâtre anatomique, mais aussi des manufactures organisées par Antoni Tyzenhauz (1733-1785) et à l’Ecole Militaire. L’imprimé de la lettre, document d’une grande rareté, n’est pas inconnu des historiens de Lituanie. Néanmoins, l’exemplaire de la Bibliothèque Botanique du MNHN mérite une attention particulière ; en effet, il porte des annotations manuscrites de Gilibert informant des cadeaux du Roi (douze volumes de la Flora Danica et une robe d’une valeur de cinquante ducats pour l’épouse de naturaliste), des modalités d’envoi des graines et d’une demande à Jussieu concernant les achats de livres et d’objets d’histoire naturelle. Pour en savoir plus concernant cette correspondance : Piotr Daszkiewicz,
piotrdas@mnhn.fr
piotrdas@mnhn.fr
Libellés : Daszkiewicz, Gilibert, Poniatowski, science, Tyzenhauz
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