25 juillet 2014

L’énigme lituanienne de l’herbier de Dominique Villars (1745-1814)

Il y a 200 ans mourrait à Strasbourg le grand naturaliste Dominique Villars. Originaire des Hautes Alpes, il marqua l’histoire des sciences naturelles par ses travaux sur la flore alpine, notamment par son Histoire des plantes du Dauphiné. Médecin et directeur du jardin botanique de Grenoble, il sauva la vie – lors de la Journée des Tuiles – du jeune sergent Bernadotte, futur roi de Suède Charles XIV Jean. La révolution le priva de toutes ses fonctions dans sa région natale et il s’exila. En 1805, il obtint la chaire de botanique de l’école de médecine de Strasbourg, dont il devint doyen en 1809. Il est ainsi l’auteur du Catalogue méthodique des plantes du Jardin de l’École de Strasbourg. Il herborisait régulièrement dans les plaines du Rhin et dans les Vosges. En 1811, en compagnie des deux botanistes alsaciens Gustave Lauth et Auguste Nestler, il parcourut la Suisse, dont il publia ses observations dans son Précis d'un voyage botanique fait en Suisse, dans les Grisons, aux sources du Rhin, au St. Gothard.

Le muséum d’histoire naturelle de Grenoble conserve l’herbier de Villars (cf. Poncet V. 1999, L’Herbier de Dominique Villars, Témoin de la flore du Dauphiné, Muséum de Grenoble). Plusieurs plantes de cet herbier portent les étiquettes indiquant « Pologne » comme lieu d’origine. Il est intéressant de s’interroger sur la provenance de ces spécimens. Villars n’a jamais voyagé en République des Deux Nations (Pologne-Lituanie). Il connaissait par contre deux naturalistes qui y ont séjourné. Jean-Etienne Guettard (1715-1786) y passa deux ans (1760-62) en qualité de médecin de l’ambassadeur de France. En 1775, Villars parcourut les montagnes du Dauphiné et herborisa avec Guettard, Barthélemy Faujas de Saint-Fonds (1741-1819) et Adolphe Murray (1750-1803). Néanmoins, ce voyage et début de relation avec Guettard se tint plus de dix ans après le retour de ce dernier en France. Nous ne disposons d’aucune information sur l’éventuel l’herbier de Guettard contenant les plantes originaires de la République des Deux Nations.
L’hypothèse la plus probable est celle que c’est Jean-Emmanuel Gilibert (1741-1814) qui fut la source de ces spécimens. Villars correspondait avec Gilibert et échangeait avec lui des plantes et des informations. C’est Gilibert qui publia en 1786, au nom de Villars et à son insu, la Flora Delphinalis. Le botaniste dauphinois participa également à l’édition par Gilibert des Démonstrations élémentaires de botanique et à la détermination et publication des célèbres gravures de Pierre Richer de Belleval (1564-1632). Nous pouvons donc penser, avec une quasi-certitude, que les plantes de l’herbier de Villars dites de « Pologne » proviennent d’échanges avec Gilibert. Ce fait implique que ces plantes ne sont pas originaires de Pologne même, mais du grand-duché de Lituanie (soit du territoire de l’actuelle Lituanie et de la Biélorussie) où Gilibert herborisait avec ses élèves de Grodno et de Vilnius. Son herbier, une de plus anciens de la flore de Lituanie, fut presque entièrement détruit. En 1793, lors de la prise de Lyon par l’armée de la Convention, les révolutionnaires brûlèrent cet herbier en confondant les planches de plante avec des documents administratifs. L’herbier de Villars à Grenoble conserve donc les spécimens d’une grande importance pour l’histoire de la botanique en Lituanie.
Pour en savoir plus, prière de contacter Piotr Daszkiewicz :
piotrdas@mnhn.fr

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