02 avril 2020

Un pâté de Strasbourg en Sibérie au XIXe siècle


Originaire d’Adamaryn dans l’ancien grand-duché de Lituanie, Benedykt Dybowski (Benediktas Dybovskis, 1834-1930) fut l’un des plus éminents zoologistes du XIXe siècle. Après des études à Dorpat (aujourd’hui Tartu, en Estonie), une de plus importantes universités de l’Empire russe et la seule de langue allemande, et à Breslau (auj. Wrocław), l’ichtyologue, entomologiste et médecin de formation travailla au Cabinet zoologique de Varsovie et enseigna la zoologie à l’École Centrale de cette ville. Engagé politiquement, il fut membre du gouvernement des insurgés lors du soulèvement polono-lituanien de 1863 contre le pouvoir tsariste. Après la défaite, il fut arrêté et condamné par les autorités russes à la déportation en Sibérie. Dans des conditions particulièrement difficiles, Dybowski devint un des plus importants explorateurs de la Sibérie, célèbre notamment par ses travaux sur les poissons du lac Baïkal. Il fut ainsi le premier à reconnaitre l’importance de sa faune et son endémisme. Il décrivit environ 400 espèces du lac. Il s’intéressa par ailleurs aux crustacés d’Asie et à l’avifaune de Sibérie. Il se rendit célèbre par ses descriptions botaniques, géographiques et anthropologiques. Gracié en 1877 par le pouvoir tsariste grâce à ses travaux naturalistes, il continua ses recherches dans la péninsule de Kamtchatka en Extrême-Orient russe en y travaillant en qualité de médecin. A partir de 1884, il fut en charge de la chaire de zoologie de l’Université de Lviv. En 1921, Dybowski se vit décerné le titre de docteur honoris causa de l'Université de Varsovie, puis en 1923 celui de l'Université de Vilnius. En 1929, la Société ukrainienne Taras Chevtchenko l'honora pour son 95e anniversaire. Le Musée d'histoire naturelle de l'Université de Lviv porte aujourd’hui son nom.
Dybowski fut un auteur très prolifique qui publiait non seulement des articles scientifiques mais aussi de nombreux textes politiques, de vulgarisation scientifique ou encore en faveur d’espéranto. En 1930, ses mémoires furent publiés à Lviv. Ils contiennent plusieurs détails de la vie des exilés, de sa pratique médicale, des observations naturalistes, des détails de la vie quotidienne en Sibérie au XIXe siècle, et parfois des informations très curieuses. Dybowski raconta par exemple comment il goûta un "pasztet strasburski" (pâté de foie gras d’oie de Strasbourg). On ne peut s’imaginer l’effet d’un tel régal sur un exilé politique privé de presque tout. Lors d’une visite chez la propriétaire d’un domaine afin de se renseigner sur les poissons et d’obtenir la permission de pêcher dans son domaine, Dybowski admira d’abord une orangerie entretenue par cette personne ainsi qu’une exploitation agricole exemplaire. Il écrivit : « Elle élevait des oies, une belle espèce de l’oie cygnoïde. Elle cultivait les salades à une grande échelle afin des nourrir sa volaille. Ceci me rappela l’élevage des oies en Lituanie, et plus particulièrement une scène chez nos voisins Lichdziejewski qui élevaient des centaines d’oies et les nourrissaient ainsi. Je lui ai dit qu’on élève aussi des oies en Lituanie et en Pologne. Elle m’a répondu que ce sont des exilés polonais à Nertchinsk (en Transbaïkalie) qui lui ont appris cette méthode. Elle m’a invité à prendre un thé. Une jeune fille cosaque nous a servi un rôti d’oie ainsi qu’une sorte de pâté de foie d’oie de Strasbourg. Elle m’a expliqué qu’elle utilisait une méthode de Poméranie et de Silésie en nourrissant artificiellement les oies enfermées. »
Pour en savoir plus : Piotr Daszkiewicz, piotrdas@mnhn.fr

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