05 août 2020

Sandarmokh, charnier de la Grande Terreur stalinienne


Pendant la Grande Terreur de 1937-1938, des milliers de personnes furent exécutées dans le plus grand secret à Sandarmokh, en Carélie soviétique, dont des Lituaniens. Découvert et étudié par des historiens indépendants, ce charnier est devenu un lieu de mémoire et fait l’objet depuis 1998, chaque année le 5 août, d’une Journée internationale du souvenir. Il est aujourd’hui la cible d'une tentative de révision et falsification historique de la part des autorités russes.
Mise en œuvre secrètement, la Grande Terreur a constitué le paroxysme de la répression stalinienne. Entre août 1937 et novembre 1938, 750 000 personnes - soit près de 1 adulte sur 100 en URSS - furent exécutés après avoir été condamnés à mort par des tribunaux d'exception à l'issue de parodies de jugement. Le but de Staline était double : remplacer les élites politiques, économiques, militaires et intellectuelles bolcheviques par une nouvelle génération de cadres staliniens dévoués corps et âme au Guide, et éliminer tous ceux qu'il considérait, selon la terminologie communiste, comme des «éléments socialement nuisibles», des «koulaks» (paysans s'étant opposés à la collectivisation), «gens du passé» (élites de l'ancien régime tsariste, membres du clergé), ainsi que les anciens membres des autres partis politiques et les membres des minorités nationales, susceptibles d'entretenir des liens avec des puissances étrangères.
Mis au jour en 1997 par l’historien Iouri Dmitriev, de l’ONG Memorial, le charnier de Sandarmokh abrite 236 fosses où les bénévoles de Mémorial ont retrouvé les restes de 9 500 personnes de plus de 58 nationalités, abattues d’une balle dans la nuque lors de la Grande Terreur. Sur ce site, soigneusement expertisé depuis des années, ont été retrouvés, sur de nombreuses dépouilles, des papiers d’identité et reconstitué, à partir des archives, le cheminement des différents convois de condamnés exécutés dans cette forêt de Sandarmokh. Parmi les victimes se trouvaient aussi des Lituaniens, dont des proches - depuis la découverte du charnier - venaient régulièrement à Sandarmokh pour honorer leur mémoire à l'aide - comme pour les autres nationalités - de modestes portraits fixés sur le tronc des pins de la forêt.  
Les visites du site pour les familles des victimes originaires de Lituanie, mais aussi d'Ukraine ou de Géorgie sont désormais interdites par les autorités russes. Depuis quelques années en effet, celles-ci mènent une brutale campagne pour étouffer toute tentative de faire la lumière sur les crimes du stalinisme. Dmitriev a été victime d'un coup monté par le FSB visant à saper et discréditer son travail de recherche sur le charnier et d’identification de leurs victimes … et de leurs bourreaux. Fin 2016, il a été inculpé de «pornographie infantile», une tentative non seulement de le piéger, mais aussi de le détruire personnellement. Les accusations ont dû être abandonnées en 2018, faute de preuves, mais un tribunal l'a reconnu coupable de possession de pièces d'armes à feu. Dmitriev a été de nouveau arrêté pour avoir prétendument violé les conditions de sa libération. Depuis lors, il est en prison. Les audiences dans son affaire se sont déroulées sans présence des médias. Le directeur du mémorial de Sandarmokh, Sergey Koltyrin, qui avait étroitement collaboré avec Dmitriev, avait également été inculpé «d'agression sexuelle sur mineur» et détenu depuis 2018. Condamné à neuf ans de prison, il est décédé en avril 2020 dans un hôpital pénitentiaire d'une «maladie grave indéterminée». Parallèlement au coup monté contre Dmitriev et Koltyrin, les autorités russes tentent d’imposer la théorie selon lequel Sandarmokh ne serait pas le site de crimes staliniens, mais celui d'exécutions de soldats de l'Armée rouge par les Finlandais pendant la guerre d'Hiver (1939-40), une réécriture de l'Histoire désormais classique dans la Russie d'aujourd'hui.

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