23 août 2020

23 août : ruban noir pour le pacte Staline-Hitler, aujourd’hui réhabilité par Poutine


Le 23 août est le jour officiel de la commémoration du Pacte germano-soviétique (dit aussi pacte Molotov-Ribbentrop ou pacte Staline-Hitler), accord de non-agression entre l'Union soviétique et le Troisième Reich et de partage des pays de l'Europe centrale et orientale entre ces deux puissances totalitaires, signé ce jour-là en 1939, et dont les effets tragiques ont été reconnus par toutes les parties concernées, y compris par la Russie quand son président Boris Eltsine rendit public pour la première fois le document original en 1992. Avec sa nouvelle vision de l'histoire soviétique, le président russe actuel, Vladimir Poutine, inquiète aujourd’hui la communauté internationale, et en particulier les trois pays baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie. En effet, si Poutine reconnaissait encore en mai 2006 l'annexion soviétique des pays baltes comme « une tragédie » bien qu’il ait déclaré un an plus tôt, en avril 2005, que « l’effondrement de l’URSS fut la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », son discours est aujourd’hui est sans ambiguïté concernant le pacte et ses clauses secrètes qui ont permis à Staline, en accord avec Hitler, de mettre la main sur ces trois États indépendants. Revenant sur ses propos précédents, le président Poutine justifia d’abord ainsi le pacte lui-même en 2015 : « Lorsque l'URSS a réalisé qu'on l'avait laissée toute seule face à l'Allemagne d'Hitler, elle a pris des mesures visant à éviter un affrontement direct, et le pacte Molotov-Ribbentrop a été signé ». Mais il ne cita pas à ce moment-là les protocoles secrets. Le 18 juin 2020 par contre, il publia simultanément un grand article dans le journal officiel Rossiïskaïa Gazeta et sa version en anglais dans la revue américaine The National Interest, où il précisa sa pensée sur le sort des pays baltes. À leur sujet, Poutine écrit : « En automne 1939, en prenant des mesures militaro-stratégiques à caractère défensif, l’Union soviétique a commencé le processus d’incorporation de la Lettonie, de la Lituanie et de l’Estonie. Leur entrée au sein de l’URSS fut réalisée à la base de traités, avec l’accord des autorités élues. […] Les républiques baltes ont conservé, au sein de l’URSS, leurs organes du pouvoir, leurs langues, ils avaient une représentation au sein des plus hautes structures de l’État ».
Selon l’historienne Galia Ackerman, il s’agit là d’une contre-vérité. « En réalité, le 12 juin 1940, la marine soviétique, appuyée par l’aviation, impose un blocus maritime aux États baltes. Le lendemain, les troupes du NKVD attaquent les postes frontières lituaniens, estoniens et lettons. Trois jours plus tard, un demi-million de soldats soviétiques franchissent ces frontières et désarment les petites armées de ces républiques. Avec l’aide des communistes locaux, des coups d’État sont fomentés contre les gouvernements estonien, letton et lituanien. Les administrations de l’État sont liquidées et remplacées par des cadres soviétiques. 34 250 Lettons, 75 000 Lituaniens et près de 60 000 Estoniens sont déportés ou tués : l’intelligentsia, les propriétaires fonciers, le clergé. Des élections ont ensuite lieu avec seulement des candidats pro-soviétiques autorisés à se présenter. Une fois élues, les "assemblées populaires" demandent immédiatement leur intégration à l’URSS. Cette occupation recouverte d’une feuille de vigne "démocratique" n’a jamais été reconnue par les pays occidentaux. » On comprend bien alors pourquoi, une fois libérés du joug russe, les pays baltes n’ont eu de cesse de vouloir rejoindre l’Union européenne et l’Otan (en 2004) afin de pouvoir protéger leur indépendance et rejoindre des États ouest-européens avec lesquels ils partagent les valeurs démocratiques.
La commémoration de ce 23 août a donc encore plus de sens aujourd’hui. Rappelons qu’il fut choisi en 2009 par le Parlement Européen comme "Journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme", aujourd’hui aussi appelée "Journée européenne du Souvenir" ou "Jour du Ruban noir" selon les pays, pour conserver le souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires en Europe. Par sa Déclaration de Vilnius de juillet 2009, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE (Organisation de la Sécurité et la Coopération en Europe) a rappelé l’initiative du Parlement Européen. Signalons cependant que le choix du 23 août remonte à des manifestations tenues initialement dans les pays occidentaux dès les années 1980, par solidarité avec les pays situés derrière le Rideau de fer, pour attirer l'attention sur les crimes et les violations des droits de l'homme commis par l'Union soviétique et protester contre le Pacte germano-soviétique. Le 23 août 1986, des manifestations eurent lieu dans plus d’une vingtaine de villes occidentales lors desquelles les manifestants se signalaient par un ruban noir. En 1987, les protestations s'étendirent aux pays baltes et culminèrent en 1989 avec la "Voie balte", événement historique lors duquel deux millions de Lituaniens, de Lettons et d'Estoniens formèrent une chaîne humaine pour protester contre le maintien de l'annexion russe. En janvier 2006, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adopta à Strasbourg une résolution sur la nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires. En 2010, le président du Parlement Européen, Jerzy Buzek, qualifia le pacte entre la Russie soviétique et l’Allemagne hitlérienne de "collusion des deux pires formes de totalitarisme dans l'histoire de l'humanité". En septembre 2019, le Parlement Européen émit une nouvelle résolution intitulée « Sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe », adoptée par une écrasante majorité d’eurodéputés et qualifiée de « mensongère » par Vladimir Poutine.
Actuellement, la Lituanie commémore le 23 août surtout comme le Jour du Ruban noir et le Jour de la Voie Balte. Ce jour-là, comme tous les jours de deuil national, les drapeaux lituaniens déployés à l'extérieur des bâtiments publics sont décorés de rubans noirs.
A lire le récent article de l’historienne Galia Ackerman dans Le Grand Continent :

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