23 août : ruban noir pour le pacte Staline-Hitler, aujourd’hui réhabilité par Poutine
Le 23 août est le jour officiel de la commémoration du Pacte
germano-soviétique (dit aussi pacte Molotov-Ribbentrop ou pacte Staline-Hitler),
accord de non-agression entre l'Union soviétique et le Troisième Reich et de
partage des pays de l'Europe centrale et orientale entre ces deux puissances
totalitaires, signé ce jour-là en 1939, et dont les effets tragiques ont été
reconnus par toutes les parties concernées, y compris par la Russie quand son
président Boris Eltsine rendit public pour la première fois le document
original en 1992. Avec sa nouvelle vision de l'histoire soviétique, le
président russe actuel, Vladimir Poutine, inquiète aujourd’hui la communauté
internationale, et en particulier les trois pays baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie. En effet, si Poutine reconnaissait
encore en mai 2006 l'annexion soviétique des pays baltes comme « une
tragédie » bien qu’il ait déclaré un an plus tôt, en avril 2005, que « l’effondrement
de l’URSS fut la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », son
discours est aujourd’hui est sans ambiguïté concernant le pacte et ses clauses
secrètes qui ont permis à Staline, en accord avec Hitler, de mettre la main sur ces trois États indépendants. Revenant sur ses propos précédents, le président Poutine justifia
d’abord ainsi le pacte lui-même en 2015 : « Lorsque l'URSS a réalisé
qu'on l'avait laissée toute seule face à l'Allemagne d'Hitler, elle a pris des
mesures visant à éviter un affrontement direct, et le pacte Molotov-Ribbentrop
a été signé ». Mais il ne cita pas à ce moment-là les protocoles secrets.
Le 18 juin 2020 par contre, il publia simultanément un grand article dans le
journal officiel Rossiïskaïa Gazeta
et sa version en anglais dans la revue américaine The National Interest, où il précisa sa pensée sur le sort des pays
baltes. À leur sujet, Poutine écrit : « En automne 1939, en prenant
des mesures militaro-stratégiques à caractère défensif, l’Union soviétique a
commencé le processus d’incorporation de la Lettonie, de la Lituanie et de
l’Estonie. Leur entrée au sein de l’URSS fut réalisée à la base de traités,
avec l’accord des autorités élues. […] Les républiques baltes ont conservé, au
sein de l’URSS, leurs organes du pouvoir, leurs langues, ils avaient une
représentation au sein des plus hautes structures de l’État ».
Selon l’historienne Galia Ackerman, il s’agit là d’une
contre-vérité. « En réalité, le 12 juin 1940, la marine soviétique,
appuyée par l’aviation, impose un blocus maritime aux États baltes. Le
lendemain, les troupes du NKVD attaquent les postes frontières lituaniens,
estoniens et lettons. Trois jours plus tard, un demi-million de soldats
soviétiques franchissent ces frontières et désarment les petites armées de ces
républiques. Avec l’aide des communistes locaux, des coups d’État sont fomentés
contre les gouvernements estonien, letton et lituanien. Les administrations de
l’État sont liquidées et remplacées par des cadres soviétiques. 34 250 Lettons,
75 000 Lituaniens et près de 60 000 Estoniens sont déportés ou tués :
l’intelligentsia, les propriétaires fonciers, le clergé. Des élections ont
ensuite lieu avec seulement des candidats pro-soviétiques autorisés à se présenter.
Une fois élues, les "assemblées populaires" demandent immédiatement
leur intégration à l’URSS. Cette occupation recouverte d’une feuille de vigne "démocratique"
n’a jamais été reconnue par les pays occidentaux. » On comprend bien alors
pourquoi, une fois libérés du joug russe, les pays baltes n’ont eu de cesse de vouloir
rejoindre l’Union européenne et l’Otan (en 2004) afin de pouvoir protéger leur
indépendance et rejoindre des États ouest-européens avec lesquels ils partagent les
valeurs démocratiques.
La commémoration de ce 23 août a donc encore plus de sens aujourd’hui.
Rappelons qu’il fut choisi en 2009 par le Parlement Européen comme "Journée européenne de commémoration des
victimes du stalinisme et du nazisme", aujourd’hui aussi appelée "Journée européenne du Souvenir" ou "Jour du Ruban noir" selon les pays,
pour conserver le souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et
autoritaires en Europe. Par sa Déclaration de Vilnius de juillet 2009,
l'Assemblée parlementaire de l'OSCE (Organisation de la Sécurité et la
Coopération en Europe) a rappelé l’initiative du Parlement Européen. Signalons cependant
que le choix du 23 août remonte à des manifestations tenues initialement dans
les pays occidentaux dès les années 1980, par solidarité avec les pays situés
derrière le Rideau de fer, pour attirer l'attention sur les crimes et les
violations des droits de l'homme commis par l'Union soviétique et protester
contre le Pacte germano-soviétique. Le 23 août 1986, des manifestations eurent
lieu dans plus d’une vingtaine de villes occidentales lors desquelles les
manifestants se signalaient par un ruban noir. En 1987, les protestations
s'étendirent aux pays baltes et culminèrent en 1989 avec la "Voie balte",
événement historique lors duquel deux millions de Lituaniens, de Lettons et
d'Estoniens formèrent une chaîne humaine pour protester contre le maintien de
l'annexion russe. En janvier 2006, l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe adopta à Strasbourg une résolution sur la nécessité d'une condamnation
internationale des crimes des régimes communistes totalitaires. En 2010, le
président du Parlement Européen, Jerzy Buzek, qualifia le pacte entre la Russie
soviétique et l’Allemagne hitlérienne de "collusion des deux pires formes de totalitarisme dans l'histoire de
l'humanité". En septembre 2019, le Parlement Européen émit une
nouvelle résolution intitulée « Sur
l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe », adoptée
par une écrasante majorité d’eurodéputés et qualifiée de « mensongère »
par Vladimir Poutine.
Actuellement, la Lituanie commémore le 23 août surtout comme
le Jour du Ruban noir et le Jour de la Voie Balte. Ce jour-là, comme tous les
jours de deuil national, les drapeaux lituaniens déployés à l'extérieur des
bâtiments publics sont décorés de rubans noirs.
A lire le récent article de l’historienne Galia Ackerman
dans Le Grand Continent :
Libellés : communisme_1941-1953, Molotov, Russie
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