15 juillet 2015

Domeyko à la recherche de minerais de fer en Alsace

Issu de la petite noblesse de l’ancien grand-duché de Lituanie, Ignacy Domeyko (1802-1889) fut un des plus grands géologues du XIXe siècle et est considéré comme le fondateur de l'enseignement universitaire au Chili. Réfugié en France après la défaite de l’insurrection polono-lituanienne de 1831, il se distingua par ses recherches au Chili où il passa la majeure partie de sa vie. Durant son exil en France, cet ancien étudiant de l’université de Vilnius (et membre de la société secrète des Philomathes), grand ami d’Adam Mickiewicz, compléta ses études au Muséum national d’Histoire naturelle et à l’Ecole des Mines de Paris.
A deux reprises, le destin l’amena en Alsace. D’abord, en 1832, quand, sur sa route d’exil vers Paris, il passa par Strasbourg ; il laissa à cet égard quelques pages d’un témoignage intéressant. Ensuite, en 1832, quand il acheva ses études à l’Ecole des Mines.
Grâce à la recommandation de ses professeurs, il trouva en effet en juillet de cette année-là un emploi dans l’entreprise de la famille Koechlin, « de riches Alsaciens, banquiers et propriétaires d’usines ». Domeyko expliqua dans ses mémoires que la famille Koechlin venait d’acheter le domaine de Bonnefontaine en Basse-Alsace « qui valait trois ou quatre millions ». Les propriétaires cherchaient un géologue et un ingénieur afin de faire une prospection de minerais de fer, ainsi que de créer une fonderie : Je fus choisi pour ce poste d’ingénieur. Je n’avais pas une grande opinion de ma personne et c’est la première fois que je devais gagner ma vie, je n’osais pas marchander. J’acceptais donc avec joie un salaire annuel de 1200 francs. Un formidable château se dressait à Bonne Fontaine, une vie de banquiers, une excellente table et une haute société. Messieurs Köchlin m’ont accueilli très bien. Mme Köchlin, l’épouse du plus jeune, et ses enfants avaient pour moi plus de respect que pour n’importe quel autre fonctionnaire. Je commençais mon travail avec un grand enthousiasme. Dès le matin, je parcourais les forêts avec les ouvriers à la recherche de minerais et j’ai trouvé, dans divers lieux, des gisements relativement riches. Messieurs Köchlin me furent reconnaissants. Ils préparaient le plan d’établissement d’une fonderie dont je devais être un des actionnaires.
J’étais content, presque heureux, quand je travaillais dans la forêt et que je m’occupais des minerais. Cependant, je dois avouer qu’il me manquait quelque chose, au château, à table et dans les salons. Je m’ennuyais, ma nature de noble se réveilla. Toute cette politesse, la commodité, l’ordre, le bon ton, tous liés à un esprit d’économie et de comptabilité, tout cela fut pour moi le signe d’une noblesse récente. J’acceptais plus que j’aimais ce comportement. Parfois, durant les conversations à la riche table, en buvant du champagne et en goûtant de délicieux desserts, il me semblait apercevoir derrière la porte ma mère, triste comme si elle me rapprochait quelque chose. En plus, Messieurs Köchlin étaient protestants. Ils aimaient taquiner les prêtres et la vieille noblesse française malgré que Madame et son frère fussent de fervents catholiques. Les dimanches, il me fallait marcher deux lieues [environ 9 km] pour aller à la messe.
Quand l’automne est arrivé, Mme Köchlin est partie avec les enfants à Paris et les Messieurs - les deux frères - à Mulhouse pour s’occuper de leurs grandes usines. Je suis resté afin de terminer mes recherches de minerai de fer. Le froid et l’humidité dans les forêts m’ont rendu malade et mon moral se dégradait de jour en jour. Un matin, je reçus une lettre de Duvernoy [Georges Louis Duvernoy (1777-1875), professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg, puis au Collège de France et au Muséum ; doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg de 1832 à 1837], mon professeur de minéralogie. Il me proposa d’aller à Coquimbo au Chili et de prendre un poste de professeur de chimie et de minéralogie, avec un salaire de 1200 piastres (6000 francs) et le remboursement des frais de voyage. 
Domeyko accepta la proposition. Ces quelques phrases sont le seul témoignage connu sur le deuxième séjour de ce grand naturaliste en Alsace.
Pour en savoir plus auprès de Piotr Daszkiewicz :
piotrdas@mnhn.fr

Libellés : , , ,