08 juin 2019

Alzasas, il y a 25 ans


En 1994 paraissait la première publication en lituanien sur une région française. En 32 pages, la géographie, l’histoire, la littérature, les arts, l’économie, la gastronomie, la vocation européenne et les grands hommes de l’Alsace furent succinctement présentés dans une brochure illustrée à grande diffusion, coéditée par l’association Alsace-Lituanie et les éditions La Nuée Bleue. De grandes signatures régionales furent sollicitées pour rédiger chaque chapitre thématique : l’homme politique Pierre Pflimlin, l’historien de l’Alsace Bernard Vogler, l’historienne de l’art Dominique Toursel-Harster, le géographe Richard Kleinschmager, le gastronome Maurice Roeckel, la journaliste Marie-Christine Périllon. Le projet fut initié par le président d’Alsace-Lituanie Philippe Edel et soutenu par l’éditeur Bernard Reumaux ; les textes avaient été traduits en lituanien sous la direction de la Déléguée permanente de la Lituanie auprès de l’Unesco Ugnė Karvelis (qui préféra le titre Alzasas à Elzasas). Les photographies en couleurs qui illustrent la couverture avaient été gracieusement mises à disposition par leur auteur, Bernard Naegelen. Tirée à 5500 exemplaires, la publication bénéficia du soutien financier de la Région Alsace, des Départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, des municipalités de Strasbourg, Mulhouse, Schiltigheim et Altkirch, de la Fondation Robert Schuman, de la banque Cial, de la brasserie Meteor, du viticulteur Dopff Au Moulin et de l’agence de communication MBA Francom.
Des exemplaires sont encore disponibles sur simple demande à l’adresse suivante :
edel@alsacemonde.org

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09 mai 2019

Le Martyr moderne de Bartholdi


En 1864, le sculpteur Auguste Bartholdi (1834-1904), le père de la célèbre statue de la Liberté à New York, réalisa un monument dédié aux victimes de l’insurrection polono-lituanienne de 1861-1863. Ce soulèvement populaire et nobiliaire contre le régime tsariste s’étendit dans tous les territoires de l’ancienne République des Deux Nations – Pologne, Lituanie, Ruthénie, Volhynie – tombés sous la domination russe à la fin du XVIIIe siècle. Il fut suivi d’une longue guérilla contre l’armée impériale russe qui réagit brutalement, faisant près de 200.000 victimes parmi les insurgés et la population civile. Le pouvoir russe eut un comportement particulièrement sanglant en Lituanie, dirigée alors par le gouverneur-général Mikhaïl Nikolaïevitch Mouraviov-Vilensky, dit « le pendeur ». Dans la seule Lituanie, plus de 700 personnes furent exécutées par pendaison ou passées par les armes et près de 40.000 furent déportées en Sibérie. Ces évènements eurent un grand retentissement en France.
La sculpture de Bartholdi est une allégorie de l'héroïsme et de la souffrance des Polonais et de leurs voisins lituaniens, biélorusses et ukrainiens. Elle représente Prométhée à demi allongé et enchaîné, assailli par l’aigle bicéphale russe. Bartholdi retranscrit ainsi les sentiments que l’échec de la lutte pour la liberté et la souveraineté de ces peuples lui inspire.
Le modèle original en plâtre de la sculpture, présenté au Salon de Paris en 1864, est aujourd'hui conservé au musée Bartholdi, à Colmar, la ville natale du statuaire. Un second exemplaire (photo) a été fondu en bronze en 2005 d'après le modèle en plâtre. Après avoir été initialement exposé dans la cour du Palais royal de Varsovie, il se trouve depuis 2010 dans le parc du Centre polonais de sculpture de Orońsko. Situé à 120 km au sud de Varsovie, ce centre réunit 621 sculptures, installations et autres monuments d’art de divers artistes dans l'ancien domaine du peintre Józef Brandt. 
https://www.rzezba-oronsko.pl/EN/
https://www.musee-bartholdi.fr/

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24 avril 2019

Józef Siemiradzki de passage par Strasbourg


Józef Siemiradzki (1858-1933) fut un de plus éminents paléontologistes européens de la fin de XIXe et du début du XXe siècle. Né à Kharkov en Ukraine, ce jeune Polonais suivit une formation typique pour les scientifiques de l’ancienne République des Deux Nations (Pologne-Lituanie). Après avoir terminé le lycée à Varsovie, il étudia à l’université de Dorpat, à l’époque une des meilleures en sciences naturelles dans le monde. Auteur de plusieurs centaines de publications et de descriptions des nouvelles espèces d’animaux fossiles, il travailla en Pologne, en Lituanie et en Ukraine. Son ambition fut de préparer une synthèse de la géologie de l’ancienne République des Deux Nations. Les catalogues des faunes fossiles sont une partie particulièrement importante de son œuvre. Néanmoins, il débuta sa carrière en travaillant sur la géologie de la Martinique et sur la faune de l’Equateur. En tant que collaborateur du cabinet zoologique de Varsovie, il partit en 1882 pour l’Equateur grâce à un soutien financier du prince Konstanty Branicki. En se rendant en France pour prendre un bateau vers l’Amérique du Sud, Siemiradzki visita, comme c’était l’habitude à l’époque, diverses institutions et collections scientifiques sur son parcours. Il nous laissa ainsi une description de son bref séjour à Strasbourg.
Le soir je suis arrivé à Francfort et parti immédiatement pour Strasbourg. J’y suis arrivé à 3 heures du matin. Un silence total régnait dans la gare qui était vide. Pas de porteur ni de cochet ! Il semblait que ces habitants tranquilles ne voyagent pas durant la nuit. Enfin, je trouvai un porteur, un Français endormi, qui mit enfin mes affaires sur un chariot et nous partîmes ensemble chercher un logement. Les rues étaient vides, on ne vit ni de vigile ni de policier, appelé ici « polype », même les étudiants avaient disparu quelque part. Après avoir longtemps frappé à la porte d’un hôtel, nous pûmes y monter au quatrième étage, juste pour apprendre, par un propriétaire endormi, qu’il n’y avait pas de chambre libre. Nous continuâmes à chercher et, enfin, je trouvai une place à l’Hôtel de Paris, le plus chic dans tout Strasbourg.  Les splendides escaliers en marbre me conduisirent vers une chambre élégante et je m’endormis immédiatement après ce voyage de quatre jours.
Le lendemain j’allai à la recherche du jeune géologue Dr [Gustav] Steinmann, avec qui je correspondais depuis un certain temps. Je le trouvai en train d’étudier une riche collection de fossiles de Bolivie et du Pérou, envoyée par divers musées et particuliers. Il m’accueillit très cordialement et proposa de me servir de guide à travers les riches collections académiques de Strasbourg. Dans le musée géologique, je pus ainsi admirer les squelettes complets de cerfs fossiles (Cervus megaceros) [grand cerf des tourbières ; le nom actuel est Megaloceros giganteus], de l’ours des cavernes, des oiseaux géants de Nouvelle Zélande, des dinosaures, d’Archaegosaurus, d’Ichtyosaurus, de Pterodactylus, etc. Puis nous visitâmes l’institut pétrographique du professeur Cohen, l’un des plus riches et mieux aménagés d’Europe. Ensuite, nous fûmes reçus au cabinet zoologique, célèbre pour sa grande collection de bouquetins, de chèvres et d’antilopes, ainsi que pour une collection d’oiseaux de Madagascar. Le professeur de zoologie Woehler, récemment revenu du Japon où il occupa longtemps un poste de professeur à Tokyo, eut l’amabilité de me montrer sa collection de curiosités japonaises. Je fus très impressionné par les énormes épées à longue manche, les couteaux et l’arme à feu, d’un travail très soigné mais d’un système très ancien et à très grand calibre.
En visitant ces installations, j’eus l’impression que le gouvernement prussien, en transformant l’Université de Strasbourg en université allemande, l’avait doté des meilleurs ressources scientifiques d’Allemagne et avec de grand moyens matériels. Aujourd’hui, c’est une des meilleures universités allemandes. Les Alsaciens l’évitent néanmoins et semblent préférer aller s’instruire en France.
La ville n’est pas grande, les rues sont tortueuses comme un labyrinthe et pleines de soldats. C’est l’impression que donne Strasbourg. La cathédrale, un chef d’œuvre de l’architecture gothique, où les dégâts du 1870 étaient déjà réparés, est le seul monument digne d’une visite. Pour illustrer les coutumes locales, je dois encore mentionner une très grande brasserie, une taverne alsacienne, où on peut rencontrer tout le monde savant réuni autour d’une chope de bière et d’une pipe, mais aussi des ouvriers en chemises bleues et des soldats faisant le cour aux jolies serveuses. C’est une énorme halle enfumée par les pipes, où plusieurs centaines de personnes se réunissent. On n’y peut rien y commander d’autres qu’une excellente bière. […]
Il ne reste de la guerre que de rares tranchées et quelques trous d’obus, de grenades ou de balles dans les murs de maisons anciennes. On ressent dans la rue un faible trafic et le peu de fiacres. Les cochers strasbourgeois soignent tant leurs chevaux qu’ils ne roulent pas la nuit afin que les animaux n’attrapent pas le catarrhe et, durant la pluie, ils couvrent leurs oreilles avec une protection en tissu. Il existe une ligne de tramway mais celui-ci ne circule que toutes les heures, et parfois encore moins.
Le 16, je quittai Strasbourg pour se rendre à Paris.

Rapporté par Piotr Daszkiewicz :
piotrdas@mnhn.fr

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