23 août 2010

Un voyage inachevé de J.H. Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) en Lituanie

L’auteur de Paul et Virginie et l’intendant du Jardin des Plantes et du cabinet d'histoire naturelle, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, a été dans sa jeunesse un véritable voyageur et aventurier. Son voyage et séjour de trois ans en Ile de France (l’Ile de Maurice) restent probablement les plus connus de ses biographes. Cependant un voyage en Pologne-Lituanie marqua à vie le jeune voyageur français. Bernardin de Saint-Pierre se rendit tout d’abord en Russie. Remarqué par l’impératrice Catherine et jouissant de faveurs de nombreux aristocrates de la Cour, il décida cependant quitter ce pays. Il écrivit que c’est le baron de Breteuil, ambassadeur de France en Russie, qui lui dit un jour : "De grands événements se préparent ; la France n’y est pas étrangère ; servez l’indépendance de la Pologne, c’est une occasion de revoir votre patrie et de courir à la gloire par le chemin de la fortune". Nous savons relativement peu sur son séjour dans l’Etat polono-lituanien. Les écrits Voyage en Pologne et Le vieux paysan polonais n’informent guère sur ses propres mésaventures. Ses biographes et les auteurs du XIXe siècle s’intéressaient surtout à l’histoire d’amour entre le jeune Français et une princesse polonaise : "Une jeune princesse, parente du prince de Radziwill, lui témoigne un tendre intérêt ; il aime, il est aimé. Alors la volupté, l’amour, l’ambition l’embrassent de tous leurs feux". Anatole France écrivit Bernardin de Saint-Pierre et la princesse Marie Miesnik (1875). Par ailleurs, on retrouve les souvenirs de son bien aimée Marie Miesnik [Miecznik signifie "porte glaive", le titre du mari de jeune princesse. Probablement, il s’agit de Maria Karolina Lubomirska, première épouse du prince Radziwiłł] dans le personnage de Virginie. Cependant, le jeune officier français avait l’ambition de jouer un rôle politique. Un court mémoire Relation de ce qui s’est passé depuis mon départ de Varsovie (1764) et la correspondance avec Pierre-Michel Hennin (1728-1807), secrétaire d’ambassade en Pologne, constituent la principale source au sujet du séjour de Bernardin de Saint-Pierre en République des Deux Nations. Hennin, un homme cultivé proche de Voltaire, était un diplomate expérimenté et un important agent secret du Roi. Bernardin de Saint Pierre se trouvait à Varsovie en 1764, quand Stanisław Auguste Poniatowski (1732-1798) fut élu au trône de l’Etat polono-lituanien. La Russie intervint militairement et l’impératrice Catherine appuya cette candidature. L’élection se passa dans une atmosphère de coup d’Etat. De nombreux patriotes s’opposaient à l'élection et à la présence russe. La France mena très activement son propre jeu en appuyant l’opposition et en soutenant le camp antirusse. La Lituanie constitua le véritable fief des patriotes de la République des Deux Nations. Karol Stanisław Radziwiłł (1734-1790), voïvode de Vilnius et un des plus grands magnats du pays, organisa une véritable résistance. Son armée combattit les Russes. Bernardin de Saint Pierre, appuyé par les agents du roi de France, décida rejoindre les forces patriotiques : "J’avais appris en arrivant à Varsovie que le prince Radziwil tenait la campagne avec sept ou mille hommes de troupes, qu’il avait à la tête de son pays deux forteresses, Niesvitz et Sluczk, remplies de munitions de guerre, quatre cents pièces de canon et autres. Je formai le projet d’aller lui offrir mes services et je m’ouvris là-dessus à S.E. l’ambassadeur de Vienne, et à M. Hennin, résident de France, qui approuvèrent ma résolution. Ce fut le 25 juin que je partis". Malheureusement, son voyage en Lituanie se solda par un échec. Il fut trahi, puis emprisonné à Varsovie par les partisans de Catherine. La correspondance entre Hennin et Bernardin de Saint Pierre nous donne quelques détails sur son séjour à Varsovie. Nous savons qu’il resta en relation avec de nombreux personnages liés à la France pour ne citer que le grand maréchal de la couronne, Franciszek Bieliński (1683-1766) ou encore Andrzej Józef Załuski (1702–1774), archevêque de Kiev, homme politique et grand mécène de la culture et des sciences. Il désirait écrire un mémoire sur le système politique et électoral de la République des Deux Nations. Il fut un des rares observateurs étrangers à prévoir la fin de cet Etat et son partage entre les puissances voisines. En 1765, il quitta la Pologne-Lituanie par la Silésie et la Saxe et rentra en France. Il chercha une position auprès l’administration royale en rappelant ses mérites de la République des Deux Nations : "1. J’ai été le premier officier français qui se soit jeté dans le parti polonais protégé par la France. 2. Je suis le seul qui l’ait fait gratuitement ; j’ai refusé même le brevet de colonel de la confédération que me proposa la princesse M…. Je ne voulais de récompense que de ma patrie. 3. Je risquais infiniment, puisque le parti où je me jetais était traité de rebelle par les Russes, du service desquels je sortais. C’est chez eux un crime d’Etat de passer de leur service à celui de leurs ennemis. Ils exigent même de tout officier qui prend congé un serment à ce sujet. La bienveillance du président de la guerre, M. le comte Schernichef, et l’amitié de mon supérieur, M. de Villebois, grand maître d’artillerie, m’avaient épargné cette formule ; mais en tombant entre les mains des Russes, comme il est arrivé, je n’en risquais pas moins la Sibérie. 4. Quelques menaces qu’on m’ait faites dans ma prison à Varsovie, je n’ai jamais voulu charger, ni vous, Monsieur, ni M. le comte Mercy, d’avoir concouru, par des conseils ou des promesses, à me faire faire cette démarche, quoique les interrogatoires eussent pour but de m’arracher cet aveu. J’ai pris toute la démarche sur mon compte… " . Cette citation est issue de la Correspondance de J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, éditée par Louis Aimé-Martin à Paris en 1826 (Ladvocat. Impr. J. Tastu). Pour en savoir plus, contacter Piotr Daszkiewicz, du Muséum national d’histoire naturelle à Paris :
piotrdas@mnhn.fr

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