Józef Siemiradzki de passage par Strasbourg
Józef Siemiradzki (1858-1933) fut
un de plus éminents paléontologistes européens de la fin de XIXe et du début du
XXe siècle. Né à Kharkov en Ukraine, ce jeune Polonais suivit une formation
typique pour les scientifiques de l’ancienne République des Deux Nations
(Pologne-Lituanie). Après avoir terminé le lycée à Varsovie, il étudia à l’université
de Dorpat, à l’époque une des meilleures en sciences naturelles dans le monde.
Auteur de plusieurs centaines de publications et de descriptions des nouvelles
espèces d’animaux fossiles, il travailla en Pologne, en Lituanie et en Ukraine.
Son ambition fut de préparer une synthèse de la géologie de l’ancienne
République des Deux Nations. Les catalogues des faunes fossiles sont une partie
particulièrement importante de son œuvre. Néanmoins, il débuta sa carrière en
travaillant sur la géologie de la Martinique et sur la faune de l’Equateur. En
tant que collaborateur du cabinet zoologique de Varsovie, il partit en 1882 pour
l’Equateur grâce à un soutien financier du prince Konstanty Branicki. En se
rendant en France pour prendre un bateau vers l’Amérique du Sud, Siemiradzki
visita, comme c’était l’habitude à l’époque, diverses institutions et
collections scientifiques sur son parcours. Il nous laissa ainsi une
description de son bref séjour à Strasbourg.
Le soir je suis arrivé à Francfort et parti immédiatement pour
Strasbourg. J’y suis arrivé à 3 heures du matin. Un silence total régnait dans la
gare qui était vide. Pas de porteur ni de cochet ! Il semblait que ces
habitants tranquilles ne voyagent pas durant la nuit. Enfin, je trouvai un
porteur, un Français endormi, qui mit enfin mes affaires sur un chariot et nous
partîmes ensemble chercher un logement. Les rues étaient vides, on ne vit ni de
vigile ni de policier, appelé ici « polype », même les étudiants avaient
disparu quelque part. Après avoir longtemps frappé à la porte d’un hôtel, nous pûmes
y monter au quatrième étage, juste pour apprendre, par un propriétaire endormi,
qu’il n’y avait pas de chambre libre. Nous continuâmes à chercher et, enfin, je
trouvai une place à l’Hôtel de Paris, le plus chic dans tout Strasbourg. Les splendides escaliers en marbre me conduisirent
vers une chambre élégante et je m’endormis immédiatement après ce voyage de
quatre jours.
Le lendemain j’allai à la recherche du jeune géologue Dr [Gustav] Steinmann, avec qui je correspondais depuis
un certain temps. Je le trouvai en train d’étudier une riche collection de
fossiles de Bolivie et du Pérou, envoyée par divers musées et particuliers. Il
m’accueillit très cordialement et proposa de me servir de guide à travers les
riches collections académiques de Strasbourg. Dans le musée géologique, je pus
ainsi admirer les squelettes complets de cerfs fossiles (Cervus megaceros) [grand
cerf des tourbières ; le nom actuel est Megaloceros giganteus], de l’ours des cavernes, des oiseaux
géants de Nouvelle Zélande, des dinosaures, d’Archaegosaurus, d’Ichtyosaurus,
de Pterodactylus, etc. Puis nous visitâmes l’institut pétrographique du
professeur Cohen, l’un des plus riches et mieux aménagés d’Europe. Ensuite, nous
fûmes reçus au cabinet zoologique, célèbre pour sa grande collection de
bouquetins, de chèvres et d’antilopes, ainsi que pour une collection d’oiseaux
de Madagascar. Le professeur de zoologie Woehler, récemment revenu du Japon où
il occupa longtemps un poste de professeur à Tokyo, eut l’amabilité de me
montrer sa collection de curiosités japonaises. Je fus très impressionné par
les énormes épées à longue manche, les couteaux et l’arme à feu, d’un travail
très soigné mais d’un système très ancien et à très grand calibre.
En visitant ces
installations, j’eus l’impression que le gouvernement prussien, en transformant
l’Université de Strasbourg en université allemande, l’avait doté des meilleurs
ressources scientifiques d’Allemagne et avec de grand moyens matériels.
Aujourd’hui, c’est une des meilleures universités allemandes. Les Alsaciens l’évitent
néanmoins et semblent préférer aller s’instruire en France.
La ville n’est pas grande,
les rues sont tortueuses comme un labyrinthe et pleines de soldats. C’est
l’impression que donne Strasbourg. La cathédrale, un chef d’œuvre de
l’architecture gothique, où les dégâts du 1870 étaient déjà réparés, est le
seul monument digne d’une visite. Pour illustrer les coutumes locales, je dois
encore mentionner une très grande brasserie, une taverne alsacienne, où on peut
rencontrer tout le monde savant réuni autour d’une chope de bière et d’une pipe,
mais aussi des ouvriers en chemises bleues et des soldats faisant le cour aux
jolies serveuses. C’est une énorme halle enfumée par les pipes, où plusieurs
centaines de personnes se réunissent. On n’y peut rien y commander d’autres
qu’une excellente bière. […]
Il ne reste de la guerre que de
rares tranchées et quelques trous d’obus, de grenades ou de balles dans les
murs de maisons anciennes. On ressent dans la rue un faible trafic et le peu de
fiacres. Les cochers strasbourgeois soignent tant leurs chevaux qu’ils ne
roulent pas la nuit afin que les animaux n’attrapent pas le catarrhe et, durant
la pluie, ils couvrent leurs oreilles avec une protection en tissu. Il existe
une ligne de tramway mais celui-ci ne circule que toutes les heures, et parfois
encore moins.
Le 16, je quittai Strasbourg
pour se rendre à Paris.
Rapporté par Piotr Daszkiewicz :
piotrdas@mnhn.fr
piotrdas@mnhn.fr
Libellés : biologie, Daszkiewicz, en_Alsace, nature/3, Siemiradzki, zoologie
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